Une page vient de se tourner pour la Vallée de La Mole.
Resté près de deux siècles et demi dans la même famille, le château de La Mole vient d'être vendu à Patrice de Colmont, patron du célèbre Club 55, l'établissement de plage de Pampelonne, et, ce que l'on sait moins, propriétaire depuis cinq ans d'une exploitation agricole et viticole à Ramatuelle.
L'acquéreur aurait l'intention de remettre le domaine en exploitation, en privilégiant les techniques d'agriculture biologique. Quant au château proprement dit, il « restera un lieu tout à la fois privé et une sorte de «Villa Médicis de l'agro-écologie». Un lieu d'échange mondial où tous ceux qui veulent débattre et échanger autour de cela pourront venir se rencontrer.1 »
C'est l'occasion de revenir sur l'histoire de cette demeure typiquement provençale, que l'on aperçoit de la route départementale entre La Mole et Cogolin, en face de l'aérodrome dont les terrains font également partie de la propriété.
Dans le cadre miraculeusement préservé des vastes prairies de son parc aux essences rares, encadré de collines boisées, le château actuel présente une façade à 2 étages de 5 travées, flanquée de deux grosses tours rondes aux toits en poivrière.
Avant le château : les premiers habitats de La Mole
Les habitats anciens, et tout particulièrement le castrum médiéval de La Mole, situé sur la colline de Sainte-Madeleine, ont fait l’objet d’une importante série de fouilles par Henri Ribot, archéologue, entre 1972 et 1976, recherches qu'il a reprises à l'initiative de Bernard Romagnan2 et en collaboration avec lui de 1995 à 2003.
Extraits des écrits d'Henri Ribot3 :
«Aux époques préhistoriques, de la fin du Néolithique jusqu’à l’âge du Bronze ancien, seul le plateau de Maravieille (surplombant le château actuel) semble avoir connu l'existence d'habitats permanents [...]
Durant l’âge du Fer, la présence de points de mouillage établis par les Marseillais sur la côte semble dynamiser très tôt l’installation humaine à La Mole.
Dès la fin du VIIe siècle jusqu’au Ve siècle avant J.-C., la colline basaltique de Maravieille [...] était à nouveau le lieu d’une importante occupation ayant succédé à un probable abandon.
Lui faisant face, un autre habitat perché fortifié, datable du VIe siècle au milieu du IVe siècle avant J.-C., occupa le sommet de la colline du Montjean, séparant la baie de Cavalaire de La Mole. [...]
Le banc de basalte de Maravieille-Sainte-Madeleine » [où existaient dès l'Age du Fer des carrières d'où l'on extrayait des meules], « a probablement donné son nom à la Mole, ad Molam4 [attesté] au début du Xe siécle. »
A l'époque romaine, après l’abandon des hauteurs au profit des coteaux, de la plaine et des côtes entourant le golfe de Grimaud – le Sinus Sambracitanus des textes antiques-, les habitats des Ier et IIe siècles de notre ère se développèrent non loin des ports (Athenopolis, Caccabaria, A1conis et Pergantion).
A La Mole, leurs vestiges ont été découverts, entre autres, près de Maravieille et de la colline de Sainte Magdeleine où ils étaient peut-être en relation avec l’exploitation du basalte. »
Des traces d'habitat ont également été retrouvées autour du château actuel, mais rien ne semble indiquer alors la présence de constructions importantes.
Moyen Age : On entend souvent dire que les Sarrasins auraient occupé la région entre la fin du IXe siècle et la fin du Xe siècle. Il n'a pourtant été retrouvé à ce jour aucune trace archéologique de leur présence dans les Maures, a fortiori sur le territoire de La Mole.
Mais il est possible que l'insécurité maritime, qui a duré au moins jusqu'au XVIème siècle, ait pu contribuer à ce qu'Elisabeth Sauze5 appelle « le phénomène castral dans le massif des Maures».
Époque médiévale : le castrum de La Mole
E. Sauze écrit6 :
« On appelle castrum (pluriel castra), du mot latin employé dans les textes anciens, une agglomération formée autour d’une résidence seigneuriale sur un relief – et donc fortifiée.Le perchement peut être considéré comme une forme élémentaire de défense.
Succédant à l’habitat antique de plaine, regroupé dans quelques cités et agglomérations secondaires, éparpillé dans les campagnes, le castrum renoue avec une tradition antérieure à la colonisation romaine. Les peuplades de l’Âge du fer avaient en effet créé et occupé plus au moins longuement des agglomérations de hauteur qu’on désigne communément par le terme latin oppidum.
Au Moyen Âge, le castrum est devenu une forme usuelle d’habitat. L’agglomération groupée au pied de son château se trouve partout en Europe occidentale, avec une fréquence plus forte dans la zone méditerranéenne. En Provence, le castrum fait figure de modèle presque unique, qui remodèle même le tissu urbain des cités antiques et n’épargne en milieu rural que de rares bourgs nés autour d’une église. [...]
A La Mole, le piton isolé [de Sainte-Magdeleine] (altitude 268 m) qu’encadrent les plateaux du Laïré et de Maravieille domine à la fois la vallée de la Verne, jusqu’à son confluent avec la Mole, et une partie du bassin de la Giscle.
Malgré sa silhouette pointue, le relief offre une spacieuse aire sommitale ceinturée au sud par une courte falaise. Sur la plate-forme, une rue en arc de cercle distribue une trentaine de bâtiments de 20 à 25 m2, où rien, dans l’état actuel, ne permet de distinguer un château.
Ces maisons regroupées à l’abri du mur d’enceinte, doublé d’un fossé et d’un avant-mur, qui barre le côté nord, furent probablement les demeures des nombreux co seigneurs (une quinzaine de familles) qui se partageaient la seigneurie de la Mole.
[...] Le quartier fortifié, réservé à l’élite dirigeante, laissait à l’extérieur l’église, petit édifice à nef unique et chevet plat, fortement remanié à l’époque moderne, et l’agglomération paysanne, installée sur la pente en contrebas au sud.
C’est là,vraisemblablement, l’habitat cité dans trois chartes de donation de 1008 et 1014, dont le bénéficiaire, l’abbaye Saint-Victor de Marseille, semble n’avoir jamais pris possession.
Le territoire, trois fois plus étendu qu’aujourd’hui, nourrissait une population nombreuse – jusqu’à 200 foyers contribuables en 1235.
La chartreuse de la Verne, fondée vers 1170, lui en prit les deux tiers grâce aux libéralités des co-seigneurs de la Mole [...]. Le déclin de la communauté, privée de la majeure partie de ses ressources, se traduit par sa chute démographique : 90 feux en 1252, 48 en 1308, 19 en 1315/1316.
L’abandon définitif eut lieu avant 1400. Dans l’espace inhabité durant trois siècles, quelques bastides s’installèrent vers la fin du XVIIe siècle. Le village actuel fut créé dans la première moitié du XIXe siècle. »
Ainsi, il y eut bien à Sainte-Magdeleine une place forte, avec son église, des habitations, et un groupement de demeures plus nobles à l'intérieur d'une enceinte fortifiée, sans que puisse se prouver l'existence d'un château tel que nous le concevons aujourd'hui.
Origines du château actuel
Bernard Romagnan7 se réfère ici aux textes :
« Pour ce qui concerne la période moderne, c’est-à-dire à partir du XVIe siècle, les renseignements sont rares car peu de textes sont actuellement connus.
Le 19 février 1565, Jacques de Boniface, seigneur de la Mole, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, signe dans son château de Collobrières, terroir dont il est également le seigneur, un acte de pris-fait avec me Pierre Cavalier, maçon de Draguignan : « a bastir (…) ung château au terroir dudit la Molle (…) a raison de trente deux soulz pour cane carrade ».
Le seigneur de la Mole devra fournir la chaux et le bois utile à cette construction et le maçon tous les autres matériaux et la main d’œuvre.
Une semaine plus tard, Jacques de Boniface achète 40 charges de « caussine, bien cuyte et receptable de la mesure acoutumée » à Jehan Bernard de Gonfaron au prix de 3,5 sous la charge.
En 1654, Jean Ollivier, muletier de Vidauban, transporte du bois avec ses deux mulets pour le compte de Jean Audoin marchand de Marseille. Le contrat précise que : « lesquelz mullets sera tenu de faire retraicte toutz les soir au chasteau dud. terroir de la Molle, appellé les Tourres ».
Enfin en 1674, dans une quittance honorée par François Feraporte et Antoine Robert, rentiers du terroir de la Mole, il est indiqué le paiement de différents travaux exécutés par Nicolas Jaume, Me maçon de Cogolin :
18 livres « pour ung petit jas qu’il a fait tout contre le chasteau joignant le jas8 »
11 livres pour 11 jours de travail pour des réparations effectuées au château et au « jas des brebis dudit chasteau ».
Il semble donc que l’actuel château de la Mole ait été construit dans la 2e moitié du XVIe siècle par la volonté de Jacques de Boniface, seigneur du lieu, et qu’il ait surtout servi de bâtiment agricole pour héberger les troupeaux du seigneur et ses récoltes. Cela est confirmé, au XVIIe siècle, par la construction et la réparation de jas.
Rappelons qu’à la fin du XVIe siècle une tentative de repeuplement du terroir de la Mole se solde par un échec, confirmé par la nomination, au début du XVIIIe siècle, d’un agent spécialement affecté à la location des accaptes, baux emphytéotiques, laissés à l’abandon au cours du siècle précédant.
Enfin, la façade actuelle semble correspondre à un réaménagement de la 2e moitié du XVIIIe siècle. »
En effet, au-dessus de la porte d'entrée figure la date de 1771, ce qui confirme la date probable de ce réaménagement.
Reste t'il une description, un dessin du château du XVIe siècle?
De nombreuses questions demeurent. Le château actuel a-t-il entièrement remplacé le château antérieur, ou bien les bâtiments du XVIème subsistent-ils, au moins en partie ? Peut-être s'agit-il de la bâtisse en pierres apparentes, flanquée d'une tour ronde, qui est située derrière le bâtiment principal...
Par ailleurs, certains auteurs évoquent un château à 4 ou 6 tours, qui auraient été démolies par la suite par l'un des propriétaires, lequel n'aurait gardé que les deux actuelles.
Elisabeth Sauze estime cette supposition assez fantaisiste :
« Ce château n’a sans doute jamais eu plus de deux tours (les châteaux à 6 tours sont très exceptionnels, ceux à 4 tours, moins rares, nécessitaient de très gros moyens financiers). Il se conforme à un modèle (le château royal de Tarascon) qui a servi jusqu’au XVIIe siècle au moins.
Quant au bâtiment situé derrière le château, il s’agit très probablement du logement des fermiers et sa tour doit contenir (ou a contenu) un escalier en vis. Les petits châteaux ruraux du genre de celui qui nous occupe étaient presque toujours constitués de plusieurs bâtiments, un grand logis destiné au propriétaire, qui n’y faisait que des séjours occasionnels, un autre logis et des bâtiments agricoles occupés de manière permanente par les fermiers qui exploitaient le domaine. La fonction agricole était la plus importante, elle procurait au propriétaire des revenus réguliers, la fonction résidentielle, bien que plus spectaculaire, était en fait secondaire pour des gens qui résidaient habituellement dans des villes (Aix, Marseille, Paris …) ».
Les propriétaires du château de La Mole à partir du XVIIIème siècle
Famille de Suffren de Saint-Tropez
La vallée de la Mole a été acquise en 1717 par le Marquis de Saint-Tropez, qui y fit construire un château, sur les vestiges, très vraisemblablement, de l'édifice plus ancien. Les Suffren tenaient ce fief des Guiran, qui eux-mêmes l’avaient eu des Boniface, cités plus haut. C’est à cette dernière famille qu’appartenait le fameux Joseph Boniface de la Mole, amant supposé de la « Reine Margot », qui fut décapité à la fin du règne de Charles IX..
En 1770 Joseph-Jean-Baptiste de Suffren, marquis de St-Tropez, le frère du célèbre Bailli, vendit la seigneurie de la Mole à Emmanuel de Boyer de Fonscolombe, chevalier, conseiller du Roy en la Cour du parlement de Provence à Aix. C'est à cette famille que le domaine devait appartenir jusqu'en 2015.
Famille Boyer de Fonscolombe
… un peu de généalogie9
Armes de la famille Boyer de Fonscolombe : d’azur, au bœuf passant d’or, sur une trangle de même, accompagné en chef de trois étoiles et en pointe d’un cœur, le tout d’or. Devise : Lento sed certo gradu ("Lentement mais sûrement"). Source : Chaix d'Est-Ange, Gustave (1863-1923), Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1119990/f319.item. Dessin de Sébastien Avy publié dans HeraldiqueGenWeb
Cette famille appartient à la noblesse de Provence Elle est originaire de la petite ville d'Ollioules, près de Toulon, et issue, d'après une tradition, du poète provençal Guilhem Boyer, décédé en 1355.
Le travail de Borel d'Hauterive, généalogiste10, fait remonter la filiation à Antoine Boyer qui quitta Ollioules pour venir se fixer à Aix et qui épousa le 1er février 1619 Catherine Mille. Ce personnage fut le grand- père de Denis Boyer (1656-1740) , marchand de tissus et banquier, consul d'Aix et procureur du pays, qui épousa le 16 avril 1678 Madeleine Gérard et qui acheta en 1712 la seigneurie de Fonscolombe, près d'Aix.
Jean Baptiste Laurent Boyer de Fonscolombe (1716-1788), et Madame, née Jeanne d'Albert de Saint Hippolyte (1718-1795)
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Cet article a été écrit en se référant à des sources fiables.
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NOTES
1 Var-matin, article du 11 mai 2015
2 Bernard Romagnan, chargé de mission patrimoine pour la Communauté de communes du Golfe de Saint-Tropez
3 Ribot H. – « Les fouilles du castrum médiéval de Sainte-Magdeleine de la Mole », dans : « La Chartreuse de la Verne, Trésors dispersés » dir. J. Charles-Gaffiot, Mairie de Cogolin 1998, p. 74-78
4« Moles, Mola », en latin et en provençal, désigne une grosse pierre massive, lourde (cf « moellon »), aussi une meule
5 Élisabeth Sauze, archiviste-paléographe, conservatrice honoraire du patrimoine au Service de l’Inventaire Général en PACA.
6 In « Freinet, pays des Maures no 6 », 2005-2006, Conservatoire du patrimoine du Freinet, La Garde-Freinet (Var)
7 Voir Note 2 page 1
8« jas » en provençal a différentes significations possibles, notamment bercail, bergerie. C'est aussi le nom du ruisseau qui coule près du château (ravin du Jas).
9 Pour une généalogie détaillée de cette famille, consulter par exemple la page web de Geneawiki, (dont ces notes sont extraites, et qui semble fiable après recoupements) : http://fr.geneawiki.com/index.php/Famille_de_Boyer_de_Fonscolombe, ainsi que la bibliographie qu'elle mentionne.
10 Voir « l'Annuaire de la Noblesse » de 1873
11. C’est ainsi qu'en décembre 1995 le chef d’orchestre Henri Gallois, qui s’attache à mettre en valeur la musique des compositeurs provençaux, avec l’Orchestre Symphonique Méditerranéen Mare Nostrum, et l’Ensemble Choral de Lorgues (70 choristes), ont donné la « Messe brève en sol majeur » d'Emmanuel de Fonscolombe dans 4 villes varoises. Sur l'initiative de Bernard Romagnan et avec l'aide du Conseil Général du Var, cette messe a notamment été donnée en l’église de Cogolin le 9 décembre.
12 « Emmanuel de Fonscolombe, Mélodies, duos et pièces religieuses ». Hybrid'music, 2008, avec le soutien de la Fondation Princesse Grace de Monaco, du Baron de Fonscolombe-La Mole et de la Succession Saint-Exupéry – d'Agay, « Emmanuel de Fonscolombe, Messe brève » Enregistré en l'église St-Jean-Baptiste de Marseille. Voice of Lyrics, Media Sound Art, 2010
13 D'après le site web dédié à Antoine de Saint-Exupéry : http://www.antoinedesaintexupery.com/famille-fonscolombe
14 Idem
15 Bernard Marck « Saint-Exupéry, le grand prince, Volume 1 : La soif d'exister, 1900-1936 », ed° l'Archipel
16 Fantaisie de l'auteur?...
17 Idem
18 Frédéric d’Agay « Saint-Exupéry entre Maures et Estérel » Extrait de l'ouvrage : « Balade dans le Var, sur les pas des écrivains» (c) Alexandrines, février 2010