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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 09:55

Une page vient de se tourner pour la Vallée de La Mole.

Resté près de deux siècles et demi dans la même famille, le château de La Mole vient d'être vendu à Patrice de Colmont, patron du célèbre Club 55, l'établissement de plage de Pampelonne, et, ce que l'on sait moins, propriétaire depuis cinq ans d'une exploitation agricole et viticole à Ramatuelle.

L'acquéreur aurait l'intention de remettre le domaine en exploitation, en privilégiant les techniques d'agriculture biologique. Quant au château proprement dit, il « restera un lieu tout à la fois privé et une sorte de «Villa Médicis de l'agro-écologie». Un lieu d'échange mondial où tous ceux qui veulent débattre et échanger autour de cela pourront venir se rencontrer.1 »

Le château de La Mole, un peu d'histoire(s)

C'est l'occasion de revenir sur l'histoire de cette demeure typiquement provençale, que l'on aperçoit de la route départementale entre La Mole et Cogolin, en face de l'aérodrome dont les terrains font également partie de la propriété.

 

Dans le cadre miraculeusement préservé des vastes prairies de son parc aux essences rares, encadré de collines boisées, le château actuel présente une façade à 2 étages de 5 travées, flanquée de deux grosses tours rondes aux toits en poivrière.

 

Avant le château : les premiers habitats de La Mole

 

Les habitats anciens, et tout particulièrement le castrum médiéval de La Mole, situé sur la colline de Sainte-Madeleine, ont fait l’objet d’une importante série de fouilles par Henri Ribot, archéologue, entre 1972 et 1976, recherches qu'il a reprises à l'initiative de Bernard Romagnan2 et en collaboration avec lui de 1995 à 2003.

Extraits des écrits d'Henri Ribot3 :

 

«Aux époques préhistoriques, de la fin du Néolithique jusqu’à l’âge du Bronze ancien, seul le plateau de Maravieille (surplombant le château actuel) semble avoir connu l'existence d'habitats permanents [...]

Durant l’âge du Fer, la présence de points de mouillage établis par les Marseillais sur la côte semble dynamiser très tôt l’installation humaine à La Mole.

Dès la fin du VIIe siècle jusqu’au Ve siècle avant J.-C., la colline basaltique de Maravieille [...] était à nouveau le lieu d’une importante occupation ayant succédé à un probable abandon.

Lui faisant face, un autre habitat perché fortifié, datable du VIe siècle au milieu du IVe siècle avant J.-C., occupa le sommet de la colline du Montjean, séparant la baie de Cavalaire de La Mole. [...]

Le banc de basalte de Maravieille-Sainte-Madeleine » [où existaient dès l'Age du Fer des carrières d'où l'on extrayait des meules], « a probablement donné son nom à la Mole, ad Molam4 [attesté] au début du Xe siécle. »

 

A l'époque romaine, après l’abandon des hauteurs au profit des coteaux, de la plaine et des côtes entourant le golfe de Grimaud – le Sinus Sambracitanus des textes antiques-, les habitats des Ier et IIe siècles de notre ère se développèrent non loin des ports (Athenopolis, Caccabaria, A1conis et Pergantion).

A La Mole, leurs vestiges ont été découverts, entre autres, près de Maravieille et de la colline de Sainte Magdeleine où ils étaient peut-être en relation avec l’exploitation du basalte. »

Des traces d'habitat ont également été retrouvées autour du château actuel, mais rien ne semble indiquer alors la présence de constructions importantes.

 

Moyen Age : On entend souvent dire que les Sarrasins auraient occupé la région entre la fin du IXe siècle et la fin du Xe siècle. Il n'a pourtant été retrouvé à ce jour aucune trace archéologique de leur présence dans les Maures, a fortiori sur le territoire de La Mole.

Mais il est possible que l'insécurité maritime, qui a duré au moins jusqu'au XVIème siècle, ait pu contribuer à ce qu'Elisabeth Sauze5 appelle « le phénomène castral dans le massif des Maures».

 

Époque médiévale : le castrum de La Mole

E. Sauze écrit6 :

« On appelle castrum (pluriel castra), du mot latin employé dans les textes anciens, une agglomération formée autour d’une résidence seigneuriale sur un relief – et donc fortifiée.Le perchement peut être considéré comme une forme élémentaire de défense.

 

Succédant à l’habitat antique de plaine, regroupé dans quelques cités et agglomérations secondaires, éparpillé dans les campagnes, le castrum renoue avec une tradition antérieure à la colonisation romaine. Les peuplades de l’Âge du fer avaient en effet créé et occupé plus au moins longuement des agglomérations de hauteur qu’on désigne communément par le terme latin oppidum.

 

Au Moyen Âge, le castrum est devenu une forme usuelle d’habitat. L’agglomération groupée au pied de son château se trouve partout en Europe occidentale, avec une fréquence plus forte dans la zone méditerranéenne. En Provence, le castrum fait figure de modèle presque unique, qui remodèle même le tissu urbain des cités antiques et n’épargne en milieu rural que de rares bourgs nés autour d’une église. [...]

 

A La Mole, le piton isolé [de Sainte-Magdeleine] (altitude 268 m) qu’encadrent les plateaux du Laïré et de Maravieille domine à la fois la vallée de la Verne, jusqu’à son confluent avec la Mole, et une partie du bassin de la Giscle.

Malgré sa silhouette pointue, le relief offre une spacieuse aire sommitale ceinturée au sud par une courte falaise. Sur la plate-forme, une rue en arc de cercle distribue une trentaine de bâtiments de 20 à 25 m2, où rien, dans l’état actuel, ne permet de distinguer un château.

 

Ces maisons regroupées à l’abri du mur d’enceinte, doublé d’un fossé et d’un avant-mur, qui barre le côté nord, furent probablement les demeures des nombreux co seigneurs (une quinzaine de familles) qui se partageaient la seigneurie de la Mole.

[...] Le quartier fortifié, réservé à l’élite dirigeante, laissait à l’extérieur l’église, petit édifice à nef unique et chevet plat, fortement remanié à l’époque moderne, et l’agglomération paysanne, installée sur la pente en contrebas au sud.

 

C’est là,vraisemblablement, l’habitat cité dans trois chartes de donation de 1008 et 1014, dont le bénéficiaire, l’abbaye Saint-Victor de Marseille, semble n’avoir jamais pris possession.

Le territoire, trois fois plus étendu qu’aujourd’hui, nourrissait une population nombreuse – jusqu’à 200 foyers contribuables en 1235.

La chartreuse de la Verne, fondée vers 1170, lui en prit les deux tiers grâce aux libéralités des co-seigneurs de la Mole [...]. Le déclin de la communauté, privée de la majeure partie de ses ressources, se traduit par sa chute démographique : 90 feux en 1252, 48 en 1308, 19 en 1315/1316.

L’abandon définitif eut lieu avant 1400. Dans l’espace inhabité durant trois siècles, quelques bastides s’installèrent vers la fin du XVIIe siècle. Le village actuel fut créé dans la première moitié du XIXe siècle. »

 

Ainsi, il y eut bien à Sainte-Magdeleine une place forte, avec son église, des habitations, et un groupement de demeures plus nobles à l'intérieur d'une enceinte fortifiée, sans que puisse se prouver l'existence d'un château tel que nous le concevons aujourd'hui.

 

Origines du château actuel


Bernard Romagnan7 se réfère ici aux textes :

 

« Pour ce qui concerne la période moderne, c’est-à-dire à partir du XVIe siècle, les renseignements sont rares car peu de textes sont actuellement connus.

Le 19 février 1565, Jacques de Boniface, seigneur de la Mole, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, signe dans son château de Collobrières, terroir dont il est également le seigneur, un acte de pris-fait avec me Pierre Cavalier, maçon de Draguignan : « a bastir (…) ung château au terroir dudit la Molle (…) a raison de trente deux soulz pour cane carrade ».

Le seigneur de la Mole devra fournir la chaux et le bois utile à cette construction et le maçon tous les autres matériaux et la main d’œuvre.

Une semaine plus tard, Jacques de Boniface achète 40 charges de « caussine, bien cuyte et receptable de la mesure acoutumée » à Jehan Bernard de Gonfaron au prix de 3,5 sous la charge.

 

En 1654, Jean Ollivier, muletier de Vidauban, transporte du bois avec ses deux mulets pour le compte de Jean Audoin marchand de Marseille. Le contrat précise que : « lesquelz mullets sera tenu de faire retraicte toutz les soir au chasteau dud. terroir de la Molle, appellé les Tourres ».

 

Enfin en 1674, dans une quittance honorée par François Feraporte et Antoine Robert, rentiers du terroir de la Mole, il est indiqué le paiement de différents travaux exécutés par Nicolas Jaume, Me maçon de Cogolin :

18 livres « pour ung petit jas qu’il a fait tout contre le chasteau joignant le jas8 »

11 livres pour 11 jours de travail pour des réparations effectuées au château et au « jas des brebis dudit chasteau ».

 

Il semble donc que l’actuel château de la Mole ait été construit dans la 2e moitié du XVIe siècle par la volonté de Jacques de Boniface, seigneur du lieu, et qu’il ait surtout servi de bâtiment agricole pour héberger les troupeaux du seigneur et ses récoltes. Cela est confirmé, au XVIIe siècle, par la construction et la réparation de jas.

Rappelons qu’à la fin du XVIe siècle une tentative de repeuplement du terroir de la Mole se solde par un échec, confirmé par la nomination, au début du XVIIIe siècle, d’un agent spécialement affecté à la location des accaptes, baux emphytéotiques, laissés à l’abandon au cours du siècle précédant.

Enfin, la façade actuelle semble correspondre à un réaménagement de la 2e moitié du XVIIIe siècle. »

 

En effet, au-dessus de la porte d'entrée figure la date de 1771, ce qui confirme la date probable de ce réaménagement.

Reste t'il une description, un dessin du château du XVIe siècle?

De nombreuses questions demeurent. Le château actuel a-t-il entièrement remplacé le château antérieur, ou bien les bâtiments du XVIème subsistent-ils, au moins en partie ? Peut-être s'agit-il de la bâtisse en pierres apparentes, flanquée d'une tour ronde, qui est située derrière le bâtiment principal...

 

Par ailleurs, certains auteurs évoquent un château à 4 ou 6 tours, qui auraient été démolies par la suite par l'un des propriétaires, lequel n'aurait gardé que les deux actuelles.

Elisabeth Sauze estime cette supposition assez fantaisiste :

« Ce château n’a sans doute jamais eu plus de deux tours (les châteaux à 6 tours sont très exceptionnels, ceux à 4 tours, moins rares, nécessitaient de très gros moyens financiers). Il se conforme à un modèle (le château royal de Tarascon) qui a servi jusqu’au XVIIe siècle au moins.

Quant au bâtiment situé derrière le château, il s’agit très probablement du logement des fermiers et sa tour doit contenir (ou a contenu) un escalier en vis. Les petits châteaux ruraux du genre de celui qui nous occupe étaient presque toujours constitués de plusieurs bâtiments, un grand logis destiné au propriétaire, qui n’y faisait que des séjours occasionnels, un autre logis et des bâtiments agricoles occupés de manière permanente par les fermiers qui exploitaient le domaine. La fonction agricole était la plus importante, elle procurait au propriétaire des revenus réguliers, la fonction résidentielle, bien que plus spectaculaire, était en fait secondaire pour des gens qui résidaient habituellement dans des villes (Aix, Marseille, Paris …) ».

 

Les propriétaires du château de La Mole à partir du XVIIIème siècle

 

Famille de Suffren de Saint-Tropez

La vallée de la Mole a été acquise en 1717 par le Marquis de Saint-Tropez, qui y fit construire un château, sur les vestiges, très vraisemblablement, de l'édifice plus ancien. Les Suffren tenaient ce fief des Guiran, qui eux-mêmes l’avaient eu des Boniface, cités plus haut. C’est à cette dernière famille qu’appartenait le fameux Joseph Boniface de la Mole, amant supposé de la « Reine Margot », qui fut décapité à la fin du règne de Charles IX..

 

En 1770 Joseph-Jean-Baptiste de Suffren, marquis de St-Tropez, le frère du célèbre Bailli, vendit la seigneurie de la Mole à Emmanuel de Boyer de Fonscolombe, chevalier, conseiller du Roy en la Cour du parlement de Provence à Aix. C'est à cette famille que le domaine devait appartenir jusqu'en 2015.

 

Famille Boyer de Fonscolombe

un peu de généalogie9

 Armes de la famille Boyer de Fonscolombe : d’azur, au bœuf passant d’or, sur une trangle de même, accompagné en chef de trois étoiles et en pointe d’un cœur, le tout d’or.  Devise : Lento sed certo gradu ("Lentement mais sûrement"). Source : Chaix d'Est-Ange, Gustave (1863-1923), Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1119990/f319.item. Dessin de Sébastien Avy publié dans HeraldiqueGenWeb

Armes de la famille Boyer de Fonscolombe : d’azur, au bœuf passant d’or, sur une trangle de même, accompagné en chef de trois étoiles et en pointe d’un cœur, le tout d’or. Devise : Lento sed certo gradu ("Lentement mais sûrement"). Source : Chaix d'Est-Ange, Gustave (1863-1923), Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. BnF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1119990/f319.item. Dessin de Sébastien Avy publié dans HeraldiqueGenWeb

Denis Boyer (1656-1740)

Cette famille appartient à la noblesse de Provence Elle est originaire de la petite ville d'Ollioules, près de Toulon, et issue, d'après une tradition, du poète provençal Guilhem Boyer, décédé en 1355.

Le travail de Borel d'Hauterive, généalogiste10, fait remonter la filiation à Antoine Boyer qui quitta Ollioules pour venir se fixer à Aix et qui épousa le 1er février 1619 Catherine Mille. Ce personnage fut le grand- père de Denis Boyer (1656-1740) , marchand de tissus et banquier, consul d'Aix et procureur du pays, qui épousa le 16 avril 1678 Madeleine Gérard et qui acheta en 1712 la seigneurie de Fonscolombe, près d'Aix.

Honoré Boyer (1683-1756), Sgr de Fonscolombe

Honoré Boyer (1683-1756), Sgr de Fonscolombe

Honoré Boyer (1683-1756), Sgr de Fonscolombe, fils du précédent, fut pourvu le 11 novembre 1741 de la charge anoblissante de secrétaire du Roi. Il avait épousé le 7 janvier 1713 sa cousine Suzanne Carnaud et en eut cinq fils et cinq filles.

 

 

 

L'aîné, Jean-Baptiste Laurent (1716-1788), employa sa grande fortune à protéger les arts et réunit une collection de tableaux, d'estampes et d'objets d'art qui est demeurée célèbre en Provence.

Jean Baptiste Laurent Boyer de Fonscolombe (1716-1788), et Madame, née Jeanne d'Albert de Saint Hippolyte (1718-1795)

Jean Baptiste Laurent Boyer de Fonscolombe (1716-1788), et Madame, née Jeanne d'Albert de Saint Hippolyte (1718-1795)

 

C'est son fils unique, Emmanuel de Boyer (1744-1810), Sgr de Fonscolombe, marié le 24 septembre 1771 à Claire le Blanc de Ventabren qui acquit le 3 février 1770 du marquis de Suffren l'ancienne baronnie de la Mole avec tous ses droits, privilèges et titres honorifiques ; il fut connu depuis lors sous le titre de baron qui a été conservé par ses descendants. Il laissa deux fils.

 

Le cadet, Charles de Boyer de Fonscolombe (1778-1838) , baron de la Mole, épousa en 1810 Émilie de Cotti.

De leurs trois fils, l'aîné, Emmanuel de Fonscolombe (1810-1875), épousa en 1838 Mlle Salavy, fille d'un riche armateur de Marseille, et fut confirmé le 1er août 1864 par décret de Napoléon III dans la possession du titre de baron de la Mole.

 

L'aîné de ses deux fils, Charles-Henri (1838-1907), baron de Fonscolombe et de la Mole, propriétaire du château de la Mole, inspecteur des finances, maire d’Aix-en-Provence en 1884 épousa en 1873 Mlle de Lestranges.

 

L'un des fils de ce couple, Emmanuel de Fonscolombe (1874-1954), fut baron de la Mole, propriétaire du château de La Mole. Marié en 1907 à Yvonne Gavoty (1883-1965).

 

L'un de leurs fils fut Charles de Fonscolombe (1912-2012), baron de La Mole, Lieutenant-colonel de cavalerie, marié à Marguerite de Langle de Cary. Ils ont eu 5 enfants, dont 3 actuellement vivants. Charles et Marguerite de Fonscolombe furent les derniers membres de cette famille qui résidèrent réellement au château, jusqu'à leur décès en 2012.

 

Quelques personnages remarquables liés au château

 

Plusieurs membres de cette famille ont eu des talents ou des existences remarquables, dans les arts, la diplomatie ou l'armée, mais nous évoquerons seulement ici quelques uns de ceux qui ont eu un lien avéré avec le château de La Mole.

 

Emmanuel de Boyer (1744-1810), Seigneur de Fonscolombe

Il fut un magistrat intègre et un savant agronome, dont les Mémoires de l'académie d'Aix conservent plusieurs dissertations importantes. L’un des 222 gentilshommes admis aux Etats généraux de Provence en 1787 (pour son fief de la Mole, preuve de noblesse), il fut emprisonné pendant la Terreur. Il avait des goûts d’histoire naturelle et les a transmis à son fils aîné, qui fut un entomologiste remarquable (il existe par exemple une libellule qui porte son nom, Sympetrum fonscolombii). Il subsiste une correspondance très intéressante entre eux et M. Hauy, oratorien sécularisé, devenu directeur du Muséum sous l’Empire et l’un des savants célèbres à cette époque.

Il acquit le 3 février 1770 du marquis de Suffren l'ancienne baronnie de la Mole avec tous ses droits, privilèges et titres honorifiques, pour lesquels il prêta hommage au roi Louis XV la même année. Il porta dès lors le titre de baron de la Mole (lettres de prélation, signées du roi et enregistrées au Parlement le 23 avril 1770).

Il remania aussitôt le château, peut-être en l'honneur de son épouse, puisque la date au-dessus de la porte d'entrée est celle de l'année de son mariage avec Claire le Blanc de Ventabren.

La façade actuelle a sans doute peu changé depuis.

 

Si architecte il y eut, son nom ne nous est pas parvenu. Mais il est probable que le propriétaire a simplement utilisé les talents de maçons locaux. Les matériaux utilisés pour les murs sont la pierre locale (essentiellement des schistes) et la brique autour des ouvertures, portes et fenêtres, l'ensemble recouvert d'un enduit de sable et de chaux. La porte principale se distingue par un bel encadrement de serpentine, pierre bleu-vert qui a été largement utilisée pour la Chartreuse de la Verne. L'escalier intérieur très clair, à la jolie rampe de fer ouvragée, au sol de tomettes rouges, date très certainement de cette seconde moitié du XVIIIème siècle.

 

Emmanuel Boyer de Fonscolombe (1810-1875)

Le château de La Mole, un peu d'histoire(s)

Né à Aix-en-Provence le 27 octobre 1810, mort à Aix-en-Provence le 21 mars 1875, il est le petit-fils du précédent, et l'arrière grand-père d'Antoine de Saint-Exupéry.

Pendant sa jeunesse, Emmanuel de Fonscolombe étudie au collège des Jésuites d’Aix, où il se lie avec Félicien David (1810-1876), futur compositeur de musique, auteur de symphonies, de musique de chambre et d’opéras, successeur de Berlioz à l’Académie des Beaux-Arts en 1869.

Parallèlement à sa passion pour la musique, Emmanuel de Fonscolombe poursuit des études de droit, obtient la licence.

Le 15 février 1838, il épouse Anne (dite Anaïs) Salavy, fille d'un riche négociant, armateur et politicien de Marseille.

Le 1er août 1864, sous le gouvernement de Napoléon III, il est confirmé et maintenu dans son titre héréditaire de baron.

Installé au château familial de la Mole, il est maître de chapelle à Aix, et pendant ses loisirs, comme d'autres membres de sa famille, s'adonne à l'entomologie, à la botanique et à la géologie. Il appartient à des sociétés savantes, et publie des articles dans leurs bulletins.

Il s'intéresse entre autres aux arbres et, en tant que propriétaire, à la gestion forestière. A cette époque, tout le monde essayait d'acclimater des plantes exotiques venues du sud. Pourtant on lui doit, plus encore qu'à son grand-père l'acquéreur du domaine, et à son fils Charles après lui, l'introduction à La Mole d'espèces remarquables, notamment d'origine nord américaine ou montagnarde, adaptées à cette vallée froide en ubac. C'est ainsi que l'on peut trouver aujourd'hui encore des sequoias, des gleditsias, des chênes rouges d'Amérique, des sapins d'Espagne, et d'autres arbres peu courants en Provence, dans le parc du château et dans l'actuel « arboretum » des Pradels (acquis en 2002 par le Conseil Général du Var et classé « espace naturel sensible »).

On lui devrait, outre ses oeuvres musicales, une édition critique du Miserere de Carissimi, et une traduction de l’italien, en 1868, des Mémoires historiques et critiques sur la vie et les oeuvres de Giovanni Pierluigi da Palestrina, dit le Prince de la Musique, de G. Baini (1828), dont le manuscrit serait conservé par la famille (d'après le dictionnaire Fétis).

Il est surtout célèbre comme compositeur. Ses œuvres sont encore jouées parfois à Paris, à Marseille et même dans le Var11, et mériteraient vraiment d'être mieux connues.

Elles comprennent notamment plusieurs messes, un opéra comique intitulé « le Prisonnier de Crimée », des romances et mélodies vocales, la Danse des morts, le Forban, etc., et une série de six Motets religieux avec accompagnement de piano ou d'harmonium.

Des enregistrements de quelques-unes de ses compositions ont été effectués récemment.12

 

D'autres personnages de cette famille mériteraient un article plus développé.

Contentons-nous des plus célèbres d'entre eux.


Antoine de Saint-Exupéry, et sa mère Marie de Saint-Exupéry, née Boyer de Fonscolombe

 

On ne peut pas parler en effet du château de La Mole sans évoquer Saint-Exupéry, qui y séjourna régulièrement pendant son enfance avec sa mère, Marie (1875-1972).

« À la mort de son père Emmanuel le musicien, Charles, le grand-père d'Antoine, se retire avec son épouse dans la propriété de La Mole où il poursuit les traditions naturalistes de sa famille. Charles a une tendresse particulière pour sa fille Marie, qui hérite des dispositions artistiques de la famille .

Le château de La Mole, un peu d'histoire(s)

Marie devenue une jolie jeune fille, sa grande tante Gabrielle, comtesse de Tricaud, persuade ses parents de la faire venir à Lyon. Marie quitte la vie pastorale de La Mole pour l’école du Sacré-Cœur de Lyon où elle reçoit l'éducation des jeunes filles de bonne famille, tout en continuant à développer ses talents de peintre. Un jour, sa grande tante lui présente un lointain cousin, Jean de Saint-Exupéry qu'elle épouse le 8 juin 1896, au château de Saint-Maurice. Le couple s’installe à Lyon, rue du Peyrat.

[…] En se rendant avec sa famille à La Mole le 14 mars 1904, Jean de Saint-Exupéry succombe à une hémorragie cérébrale en gare de La Foux.»13

Marie reste seule avec leurs cinq enfants. Elle les élève avec un amour qui restera toujours au cœur de ses enfants, en particulier Antoine, ce qui n'exclut pas une certaine rigueur.

Son dévouement pour sa famille ne l'empêche pas d'avoir une vie personnelle et sociale.

« Elle peint et reçoit de nombreux prix pour ses tableaux. De 1914 à 1918, elle est infirmière à la Croix Rouge, et dans les années 1930 elle se rend dans les régions dévastées du Nord de la France pour secourir les familles sinistrées. »14

Voici quelques aperçus de l'enfance de Saint-Exupéry, tels que les rapporte Bernard Marck. 15

« Après la disparition de Jean, l'existence de la famille se partage entre, l'hiver, le château de La Mole […], qui appartient à la grand-mère de Fonscolombe, et, l'été, la propriété de la grand-tante, la comtesse de Tricaud, à Saint-Maurice de Rémens […] dans l'Ain.

Les déplacements entre le Var et l'Ain feront partie intégrante de l'univers magique de Saint-Exupéry […] jusqu'à l'âge de 9 ans. »

Saint-Exupéry chérira toujours la vaste maison de Saint-Maurice, son grenier et son parc propice aux aventures, « ce qui ne l'empêche pas d'apprécier ses séjours dans ses fiefs de La Mole. »

« Lorsque les jours raccourcissent, la petite famille ferme ses malles pour gagner le château de La Mole, forteresse provençale bâtie au XIIIème siècle16[…]

Antoine n'effectuera que de courts séjours dans cette propriété, dont l'histoire a pourtant de quoi enflammer son imagination : l'un de ses occupants ne fut-il pas le chevalier de La Mole qui, grièvement blessé, fut caché par Marguerite de Valois, dite la Reine Margot, l'épouse volage de Henri IV […].

La vigne vierge rose ajoute au romantisme. Pas plus qu'Alexandre Dumas, qui s'empara des lieux pour y situer sa Reine Margot, les enfants ne peuvent résister à l'attrait de la vieille tour ronde couverte de tuiles qui abrita17 les amours torrides du chevalier et de son amante souveraine.[…]

On ne saurait affirmer que Saint-Exupéry conserve de La Mole un souvenir aussi vivace que de Saint-Maurice, véritable berceau de son enfance. [Il a pourtant] le temps de découvrir le vent et les vagues, la forêt de chênes-liège et de châtaigniers. »

Frédéric d'Agay 18 évoque quelques aspects de ces séjours d'hiver à La Mole :

 

« La vie quotidienne dans cet endroit reculé des Maures était assez patriarcale et austère, pastorale et provençale. Antoine s’en souvient dans ses livres et sa correspondance : « Il y avait à La Mole […] une bergerie extraordinaire, une crèche avec des moutons et des chevaux et un bœuf et des bergers et un âne et trois rois mages dix fois plus grands que les chevaux, et surtout une odeur de cire qui est pour moi l’essence de toute fête… j’avais cinq ans… ».

Pour le jour de sa fête, se souvient [Marie] dans son livre J’écoute chanter mon arbre, « Antoine apportait un poème : Dieu t’a donné la grâce et la beauté/ Et tu nous chéris quelle félicité. »

 

Peut-être les levers de lune, le soir, sur les collines de La Mole lui ont-ils inspiré les couchers de soleil qu'admire le Petit-Prince sur sa minuscule planète. Mais c'est une autre révélation qui l'attendait au cours d'un de ces séjours. Écoutons à nouveau Bernard Marck :

« A l'occasion la diligence familiale conduit la maisonnée à la gare de La Foux, d'où le « Petit-Sud » les emmène à Saint-Tropez. C'est au cours de l'une de ces excursions à petite vitesse, vers l'âge de six ans, qu'il aura l'insigne honneur de grimper à bord de la vieille locomotive dont le mécanicien porte son prénom. Il y reçoit la révélation de la mécanique. Ensuite sa passion évoluera vers l'automobile, au point que tout rocher proche du château deviendra, certes avec un peu d'imagination, une voiture.

L'existence de ce petit monde est régie par la religion, le culte de la famille […], un ensemble ordonné dans lequel le curé joue un rôle considérable. Il a sa place au château, à la table de jeux, à la table tout court, et au salon.

Émanation de Dieu le Tout-puissant, il est une fréquentation obligée. Le port de la soutane lui confère un prestige qui le place à l'abri des critiques, mais pas des rires furtifs des enfants qui s'amusent de le voir succomber régulièrement au péché de gourmandise.[...] »

 

Aux derniers jours de sa vie, peut-être même au cours de sa dernière mission aux commandes de son P 38, Antoine de Saint-Exupéry, qui était stationné en Corse, a-t-il survolé le château de son enfance?

Il n'est pas interdit de l'imaginer...

 

 

 

 

  Marie de Saint-Exupéry et ses fils, François et Antoine (à droite)

Marie de Saint-Exupéry et ses fils, François et Antoine (à droite)

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Cet article a été écrit en se référant à des sources fiables.

Toutefois, si vous relevez des erreurs, des inexactitudes, ou si vous disposez d'autres informations concernant le château de La Mole, n'hésitez pas à nous contacter.

 

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NOTES

1 Var-matin, article du 11 mai 2015

2 Bernard Romagnan, chargé de mission patrimoine pour la Communauté de communes du Golfe de Saint-Tropez

3 Ribot H. – « Les fouilles du castrum médiéval de Sainte-Magdeleine de la Mole », dans : « La Chartreuse de la Verne, Trésors dispersés » dir. J. Charles-Gaffiot, Mairie de Cogolin 1998, p. 74-78

4« Moles, Mola », en latin et en provençal, désigne une grosse pierre massive, lourde (cf « moellon »), aussi une meule

5 Élisabeth Sauze, archiviste-paléographe, conservatrice honoraire du patrimoine au Service de l’Inventaire Général en PACA.

6 In « Freinet, pays des Maures no 6 », 2005-2006, Conservatoire du patrimoine du Freinet, La Garde-Freinet (Var)

7 Voir Note 2 page 1

8« jas » en provençal a différentes significations possibles, notamment bercail, bergerie. C'est aussi le nom du ruisseau qui coule près du château (ravin du Jas).

9 Pour une généalogie détaillée de cette famille, consulter par exemple la page web de Geneawiki, (dont ces notes sont extraites, et qui semble fiable après recoupements) : http://fr.geneawiki.com/index.php/Famille_de_Boyer_de_Fonscolombe, ainsi que la bibliographie qu'elle mentionne.

10 Voir « l'Annuaire de la Noblesse » de 1873

11. C’est ainsi qu'en décembre 1995 le chef d’orchestre Henri Gallois, qui s’attache à mettre en valeur la musique des compositeurs provençaux, avec l’Orchestre Symphonique Méditerranéen Mare Nostrum, et l’Ensemble Choral de Lorgues (70 choristes), ont donné la « Messe brève en sol majeur » d'Emmanuel de Fonscolombe dans 4 villes varoises. Sur l'initiative de Bernard Romagnan et avec l'aide du Conseil Général du Var, cette messe a notamment été donnée en l’église de Cogolin le 9 décembre.

12 « Emmanuel de Fonscolombe, Mélodies, duos et pièces religieuses ». Hybrid'music, 2008, avec le soutien de la Fondation Princesse Grace de Monaco, du Baron de Fonscolombe-La Mole et de la Succession Saint-Exupéry – d'Agay, « Emmanuel de Fonscolombe, Messe brève » Enregistré en l'église St-Jean-Baptiste de Marseille. Voice of Lyrics, Media Sound Art, 2010

13 D'après le site web dédié à Antoine de Saint-Exupéry : http://www.antoinedesaintexupery.com/famille-fonscolombe

14 Idem

15 Bernard Marck « Saint-Exupéry, le grand prince, Volume 1 : La soif d'exister, 1900-1936 », ed° l'Archipel

16 Fantaisie de l'auteur?...

17 Idem

18 Frédéric d’Agay « Saint-Exupéry entre Maures et Estérel » Extrait de l'ouvrage : « Balade dans le Var, sur les pas des écrivains» (c) Alexandrines, février 2010

 

 

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commentaires

A
Je corrige une faute: "...les infos fournies."
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A
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour les infos fournis sur votre blog. Il est indiqué "Marie reste seule avec leurs 4 enfants". D'après http://www.antoinedesaintexupery.com/la-g%C3%A9n%C3%A9alogie, la fratrie St-Exupéry était composée de 5 enfants et non de 4, tous nés avant le décès de leur père.<br /> <br /> Bonne continuation.
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A
Vous avez raison de souligner cette erreur, nous allons la corriger.<br /> Merci pour votre intérêt.<br /> Bien cordialement,<br /> La rédaction